mercredi 28 novembre 2018

Le mariage en Bretagne jadis

  Pour écrire cet article, je me suis fait aider par Pierre-Jakez Hélias, en extrayant des paragraphes consacrés au mariage de son roman autobiographique «  Le cheval d’orgueil ».

La cérémonie de mariage en Bretagne était autrefois l’occasion d’une grande fête. L´adjectif « grande » n’a pas la  même signification partout. Cette fête en Bretagne, même pour les plus modestes, réunissait tout le village et au-delà, les parents, les amis, les voisins et qui donnait lieu à des souvenirs impérissables.
Il est courant en faisant des recherches généalogiques de constater qu’au XVIIIème siècle et avant, dans les registres  BMS (baptêmes, mariages et sépultures), les mariages étaient groupés au printemps dans chaque village breton. La période choisie était idéale pour ces populations alors très paysannes vis à vis de leurs activités. Cette façon de procéder s’est poursuivie ensuite mais elle est plus difficile à mettre en évidence dans les registres d’état-civil (après 1792).  
Ces mariages collectifs étaient très fréquents dans le monde rural. Ils permettaient principalement de réduire les coûts financiers qu’engendrait un mariage, surtout lorsque deux membres d’une même famille se mariaient en même temps (des sœurs par exemple). Le plus souvent, il s’agissait de mariages à deux ou trois couples, mais certains exemples vont bien au delà. En 1895, Plougastel a vu se célébrer 45 mariages le même jour, c’est le record connu à ce jour.
Après la cérémonie nuptiale, un fricot (*) était organisé. Il dépassait courrament le nombre de mille convives, un fricot qui durait plusieurs jours, qui nécessitait un savoir faire certain, une organisation rigoureuse et une météorologie favorable car le fricot était en extérieur...

Pour ceux qui aiment les images voici une série de cartes postales anciennes qui illustrent ce qu’était les fricots naguère. Il fallait une intendance considérable assurée pour l’essentiel par des bénévoles....

Je continue au-delà par la description détaillée de toutes les étapes un peu moins imagée....



















































Mais avant d’arriver à cette fête, il fallait respecter les usages... 

Souvent, tout commençait par la visite du kouriter, l'entremetteur de mariage, à savoir le porte-parole du demandeur de mariage chez la famille de la personne désirée.
Il portait une branche de genêt, en guise de symbole : Ar baz valan (l'homme au bâton de genêt) était le  messager d'amour du jeune homme. Il intervenait pour chaque mariage près des parents de la jeune fille. Il était souvent mendiant, tailleur ou brodeur car, à l'inverse de la grande majorité de la population, ces trois professions rentraient souvent chez les gens et pouvaient donc rapidement savoir quelles familles étaient de même rang et ainsi autoriser ou non les mariages. Le jour où cette personne venait faire son office d'entremetteur, elle se munissait de son bâton de genêt fleuri, symbole d'amour et d'union ainsi que de chaussettes de couleurs différentes. Le voyant ainsi, chacun savait immédiatement pourquoi il venait. .

Ainsi Job Courbic était tailleur et entremetteur…


«  Il y a eu peu de mariages pendant la guerre. Les pertes en jeunes hommes sur le front, le non-retour de certains rescapés ayant trouvé fortune ailleurs, ont rendu plus accommodants et plus pressés les chefs de famille qui désirent un gendre. Et cependant, l’ancienne coutume demeure encore dans les années de vingt à trente. Le baz-valan, devenu désormais le « faiseur de cour » (ar kouriter) interposé, exerce toujours sa diplomatie entre les deux parties éventuellement prenantes, et la commère marieuse fait encore son office. Mais cet office est désormais plus discret, moins visible en tout cas. »
Pierre-Jakez HÉLIAS  «  Le cheval d’orgueil »

«  Déjà plus d’une fois, ma mère avait été demandée en mariage quand mon père se présenta. De dot, évidemment, il n’y avait pas la moindre, ni d’espérances non plus. C’était bon pour les bourgeois, terriens ou non. Mais une jeune fille pauvre était jugée sur son travail et sa tenue. A cet égard, Marie-Jeanne Le Goff n’avait de leçon à recevoir de personne dans une paroisse où tout le monde tenait tout le monde à l’œil. Inutile, donc, de vouloir faire prendre à quiconque des vessies pour des lanternes. Au reste, elle était libre de ses décisions. Son père se plaisait à répéter : elle est maîtresse de la maison, il est juste qu’elle soit maîtresse d’elle-même. L’usage du marieur (kouriter) n’avait pas encore disparu, bien que cet entremetteur officiel eût abandonné le bâton de genêt (baz-valan) qui lui valait un de ses noms. Ma mère n’eut pas à recourir à ses bons offices. »
Pierre-Jakez HÉLIAS  «  Le cheval d’orgueil »

Ar Goulenadec est la demande en mariage.  Lorsqu'un jeune homme est bien  décidé à épouser la jeune fille désirée, il se rend à la maison où elle  demeure, un soir quelconque, très tard, vers onze heures, alors que  tout le monde est couché. Le jeune homme se fait accompagner par son père ou, si celui-ci est mort, par son plus proche parent. Ils  frappent à la porte et disent leurs noms, alors, tous les gens de la  maison se rhabillent et on leur ouvre. Alors va commencer la cérémonie d’ar Goulenadec appelée aussi ar gwin ardant (l'eau-de-vie) car le jeune homme en apporte toujours une bouteille dans un panier.  Quand ils sont entrés, on les prie de s'assoir, et chacun prend  place autour du foyer, le maître de la maison à sa place habituelle dans le coin droit de l'âtre, sous le manteau de la large cheminée. Selon les règles de la politesse du pays, on ne leur adresse aucune question et on les laisse causer ; il est toutefois d'usage de leur offrir à manger du lard ou du bœuf salé. Ou cause d'abord des choses les plus diverses, excepté du mariage; à la fin cependant, le père (ou le proche parent venu avec le jeune homme) fait la demande aux parents de la jeune fille. A ce moment, le galant sort de son panier la bouteille d’eau-de-vie et en offre à toutes les personnes présentes de tout âge et de tout sexe, sauf aux tout petits enfants qu'on n'a pas réveillés.  
Quelques temps après la cérémonie d’ar goulenadec, un samedi, vers six heures, le fiancé et la fiancée, le garçon et la fille d'honneur choisis par eux s'en vont au presbytère donner leurs noms au recteur pour que l'annonce du mariage soit bannie les deux dimanches suivants. Cela s'appelle lakaat an hano (donner le nom). C'est ce qui se fait dans les familles pauvres. Dans celles qui sont très aisées, les parents de la fiancée invitent chez eux à un repas leurs proches parents, ceux du fiancé et le fiancé lui-même, ainsi que le recteur el le vicaire. On tue une bète à cette occasion et, à la fin du dîner, le recteur prend les noms. Le seul cadeau que le fiancé fasse à sa future femme (à part l'anneau de noce que seule elle porte) est un manteau de deuil, en étoffe noire avec un capuchon, c'est pour le cas où il y aurait des décès dans la famille. Il est à remarquer que seules les femmes mariées quand elles sont en deuil, portent ces manteaux. 

Le grand jour venu, les invités se rendent chez la future mariée qui a revêtu le costume traditionnel; la coiffe de cérémonie, le long châle en belle étoffe et le petit tablier de soie. Elle se laisse embrasser par tous, dès qu'ils arrivent. Avec les sonneurs, on lui chante une complainte qu'on appelle «  l’air à faire pleurer la mariée » , lui contant avec détail la perte de tous les avantages de sa vie de jeune fille (son insouciance, sa virginité, ses beaux vêtements blancs, la proximité de ses parents...), et toutes les peines et les difficultés qu'entraînera sa future condition de femme mariée.


Le cortège était ensuite constitué pour gagner la mairie puis l’église. En tête du cortège, les sonneurs et musiciens, suivis de la mariée conduite par son père. Après la mariée, ce sont les garçons et filles d’honneurs chargés d’animer la fête, puis la famille proche, les voisins et amis, et à la fin du cortège, le père du marié donnant le bras à la mère de la mariée et, comme il se doit, à la toute fin le marié au bras de sa mère.  



Mais, dans les fermes riches de la Cornouaille, les cérémonies du mariage revêtaient une originalité et une couleur dont on ne trouve nulle part les équivalents. La noce avait toujours lieu à cheval. Dès la fine pointe de l'aube, au jour marqué, la cour de la ferme se remplissait d'une joyeuse cavalcade qui venait chercher la jeune fille et ses parents pour les conduire à l'église.



 Â la mairie, le mariage se fait en général en langue française, mais quand la majorité des assistants ne comprend pas cette langue, la cérémonie se fait en breton. Quand elle est terminée, le cortège, dans le même ordre, se rend â l'église. La messe dite, chacun va écrire son nom ou, s'il ne sait pas, faire une croix sur le registre do la sacristie. 

«  Dès que les nouveaux mariés débouchent de l’église, ils sont cueillis par une sorte de marche nuptiale que les sonneurs assaisonnent à leur manière, ou quelque mélodie composée par des prêtres organistes de la fin du XIXème siècle quand elle n’a pas été empruntée par eux au Pays de Galles dont nous ne savons plus, ou pas encore, que leurs habitants sont nos frères, encore que dans le canton sud il y ait des pasteurs protestants qui sont gallois. Cela s’appelle « l’air pour sortir de l’église ». »

Pierre-Jakez HÉLIAS  «  Le cheval d’orgueil »


«  En effet, suivant les instructions reçues, les sonneurs emmènent en grande pompe le cortège vers la prochaine auberge. Un peu avant d’y arriver, ils changent d’air. C’est la rupture avec le sacré. Le cortège l’entend bien ainsi, qui commence à prendre certaines libertés avec la discipline d’apparat. On parle plus fort, on s’interpelle, les coqs de village brûlent de commencer leur numéro. L’aubergiste a sorti devant sa porte deux chaises pour les sonneurs. Au moins deux chaises. Quelquefois, il a établi trois ou quatre planches sur des tonneaux pour servir d’estrade dans le vieux style. Les sonneurs vérifient leurs instruments une dernière fois avant d’attaquer la première danse, le temps pour l’aubergiste ou l’un des garçons d’honneur de leur apporter à boire. Car un sonneur de biniou qui a soif ne peut pas nourrir convenablement de son souffle sa poche de cuir. Et un sonneur de bombarde à la gorge sèche, c’est encore pis : il n’arrive pas à détacher ses notes, à tenir le rythme, à soulever les danseurs de terre avec des coups de langue si forts que l’anche de roseau entre en délire aigu, de quoi entraîner irrémédiablement à la saltation toute créature bien née. On attend les sonneurs à la première aubade (abadenn) des mariés qui comporte trois danses : une gavotte, un jibidi stoupig et un jabado. Si elle est exécutée avec tout le brio désirable, on augure bien de la suite. Sinon, les sonneurs risquent leur réputation. Ils le savent si bien, du reste, que le bombardier (talabarder) qui est le chef d’orchestre interviendra plus tard pour faire changer le couple de tête, celui qui mène la danse, s’il estime qu’il est inférieur à sa tâche. Pour le moment, il n’en est pas question car, pour le tour du bourg, ce sont les mariés qui mènent par droit et par devoir. Et cependant, ils peuvent céder la place sous un prétexte ou un autre, celui de payer à boire par exemple. »
 Pierre-Jakez HÉLIAS  «  Le cheval d’orgueil »

 





En sortant, le marié donne le bras à sa femme, puis sur la place du bourg, le cortège se disloque ; on reste à causer, on s'offre des tournées dans les auberges voisines, ou bien on va jouer aux boules, le jeu le plus en vogue du pays. Les jeunes filles, en général, vont se promener par bandes sur la grande route, pendant que les mariés reçoivent les invités qui venant souvent de loin n'ont pu arriver plus tôt. On s'arrête à faire des emplettes aux marchandes de bonbons, de noix et de fruits, qui ne manquent pas de venir quand il y a une noce, mais si le repas doit se faire dans la campagne et non dans une auberge du bourg, on se rend tout de suite à la ferme où il a lieu. Les mariés s'en vont ensemble, les premiers, précédant toutefois les musiciens, joueurs de biniou ou de violon qui ne commencent à faire partie du cortège qu'au sortir de l'église. Les sonneurs  portent à cette occasion le vieux costume breton. 

Souvent, après le dîner ou même avant, quand les gens de la noce se promènent par les chemins, ils sont souvent arrêtés par des ficelles auxquelles sont attachées des épines et que des gamins ont tendu au travers de la route. On leur donne quelques pièces pour payer le droit de passage. Cela s'appelle an Drezen


«  Le jour de gloire est arrivé. C'est toujours un mardi que les noces ont lieu. Quand je dis le jour, c'est seulement par égard pour la cérémonie chrétienne du mariage qui se fait le mardi matin (an eured) car le fricot lui-même durera trois jours entiers et le reste de la semaine sera consacré par chacun à reprendre ses esprits. On ne parle pas d'aller au mariage, mais d’aller au fricot. Cela montre encore l'importance attachée à la nourriture et comment celle-ci est inséparable du sacrement, presque aussi nécessaire que lui (pardonnez-moi, Seigneur !) parce que si la religion est respectable, les rites sociaux, dont elle est d'ailleurs partie prenante, ne le sont pas beaucoup moins. A quoi il faut ajouter que nous avons eu tellement de ventres creux chez nos ancêtres que les grasses mangeailles demeurent pour nous les plus somptueuses des fêtes du corps. Et le mardi matin, quand les gens de la noce se mettent en marche de tous côtés, ceux qui demeurent à la maison leur demandent encore, mi-railleurs, mi-envieux : avez-vous emporté votre cuillère ? »

Pierre-Jakez HÉLIAS  «  Le cheval d’orgueil »


L’arrivée des mariés au festin


«  Le fricot du mariage d’aujourd’hui se fait à la ferme du fils nouveau ou de la fille nouvelle, c’est ainsi que l’on appelle les mariés. Mais cet usage chez les riches de recevoir chez eux des centaines de convives commence à se perdre. C’est trop de train et de tracas pour l’honneur qu’on en a et le bénéfice qu’on en tire. Evidemment l’étable, la porcherie, la basse-cour, les greniers, le four à pain lui-même fournissent à bon compte les nourritures essentielles. On a tué le bœuf ou le taureau engraissé pour la circonstance. » 
Pierre-Jakez HÉLIAS  «  Le cheval d’orgueil »


Avec autant d’invités, la logistique posait problème, comment avoir suffisamment de couverts pour tous ? Une tradition bretonne consistait à ce que chaque invité apporte lui même ses couverts. Les couverts en questions étaient sculptés dans du bois pendant les longues soirées d’hivers précédant les mariages. Les cuillères faisaient ensuite office de cadeau aux jeunes mariés, certaines pouvaient être très soignées, avec un décors peints ou sculpté, que ce soit des fleurs, des entrelacs, ou encore des symboles religieux.


Dans la campagne, après le dîner, avant les danses, le mari, sa femme, et un proche parent de celle-ci s'enferment dans une salle. Pendant ce temps, un homme, réputé dans le pays, fait cuire une soupe au lait préparée à l'avance, elle est toujours très bonne, et il la fait goûter à tous les parents, en commençant par les plus proches en les appelant par leur nom et en indiquant leur degré de parenté. Souvent, les morceaux de pain, qui sont dans la soupe sont réunis entre eux au moyen d'une longue ficelle. Il va, en la tenant, frapper à la porte de la pièce où sont les mariés ; le parent qui est enfermé avec eux lui répond, et alors une dispute improvisée en prose bretonne, rimée ou assonancée. s'engage entre lui et le porteur de la soupe qui, à la fin, parvient à se faire ouvrir, et les mariés mangent la soupe. 

Les invités restent à danser une partie de la nuit au son des clarinettes, sauf quand un deuil a eu lieu récemment dans une des deux familles. Les trois premières nuits, à la campagne, les nouveaux mariés couchent dans la demeure de la jeune fille ; souvent ils trouvent les draps du lit dérangés, ou parsemés de miettes de pain, de cheveux ou de crins. Souvent, si une veuve se remarie, pendant toute la nuit de ses secondes noces, les voisins lui font un charivari en frappant sur des chaudrons. Si elle est divorcée, le charivari dure plusieurs nuits.

Le lendemain de la noce, tout le monde se lève de bonne heure ; les plus proches parents et les invités vont à une messe que l'on fait dire pour les défunts des deux familles. En Bretagne, même au milieu des réjouissances, on n'oublie jamais les morts. Dans les familles pauvres, on fait un nouveau repas avec les restes du dîner de la veille. Le surlendemain, dans les familles aisées, on invite les journaliers, les petits voisins, les parents des domestiques et les pauvres à un repas. Le troisième jour après la noce, un nouveau repas de cérémonie a lieu ; on y invile, outre les proches parents, le curé, le maire, le notaire. Le quatrième jour seulement ou parfois plus tard encore, le marié emmène sa femme chez lui. Chez les parents de la mariée qui va les quitter, un repas intime, après lequel les nouveaux mariés s'en vont vivre  leur ménage. Souvent la jeune femme pleure en quittant ses parents qui eux aussi versent souvent des larmes, d'où le nom d’ar oueladen (la pleurade). 
Un petit film Pathé de 1908 « Une noce en Bretagne » image bien la réalité des mariages au début du XXème siècle...

La solidarité s’exprime aussi par l’attention aux personnes éméchées qui souffrent de.la longueur du fricot...




(*) Le Larousse donne la définition « Fricot : de fricasser, familier, viande et légumes mélangés et grossièrement cuisiné ». Le mot a été adapté du français au breton en « friko ». Mais en signifiant sans aucune valeur péjorative « repas de noce ou de fête ». Chez les paysans bretons, il n'y avait jamais de fricot sans lendemain, qu'on appelle en breton dilost ar friko