vendredi 9 novembre 2018

2. Les petits métiers d'hier aujourd'hui disparus... : ramasseur et brûleur de goémon

 
Deuxième épisode consacré à plusieurs métiers manuels aujourd’hui disparu, image d’une époque où la main d’oeuvre étatit abondante, indigente et courageuse !
 
Tout d’abord, les métiers du goémon. La préparation des 80 étapes le long du GR34 montre l’importance de cette activité dans le passé avec nombre de fours à goémon encore visibles près du rivage... Le paysan de bord de mer se faisait aussi récolteur et brûleur de goémon à la belle saison.
 
La récolte du goémon est une pratique rythmant l’économie de la Bretagne et constituant une branche professionnelle à part entière. Aujourd’hui, la principale méthode de ramassage des algues est la récolte mécanisée par des navires goémoniers embarqués en pleine mer. Hier, les goémons étaient ramassés à la main sur les côtes. Cette pratique reste bien moins pratiquée. Si le goémon est ramassé sur toutes les côtes bretonnes, la majeure partie de sa production se fait dans le Pays du Léon (Finistère Nord), entre la baie de Morlaix et la rade de Brest. Depuis le XIXème siècle, la Bretagne est la première région productrice d’algues en France.

L’usage des algues en Bretagne est très ancien, mais n’est attesté qu’au Moyen Âge. Par la suite, cette ressource maritime vient compléter l’économie agricole. Avant le XVIIème siècle, le goémon ne sert que d’engrais, d’aliment pour les animaux ou de combustible. Autrefois sur les côtes nord de Bretagne, durant l'été, on pouvait voir sur les dunes et les gréves l’activité des paysans goémoniers. Le travail se faisait en famille. Le marin allait récolter les laminaires sur les hauts fonds proches de la côte. A l'arrivée des bateaux sur la gréve, les algues étaient transférées sur des charrettes et transportées sur les dunes pour le séchage. Ensuite, elles étaient mises en tas en attendant le brûlage qui se faisait dans des fours en pierre sur la dune. 

 




La récolte de goémon se faisait parfois, au pied de falaises. La remontée du goémon était alors bien plus difficile. Le goémon était hissé sur le sommet des falaises à l'aide d’un mât de charge équipé d'une roue. Un attelage de chevaux tirait  une nacelle le long d'un câble depuis la grève. Cette nacelle arrivait à une hauteur suffisante  au pied du mat de charge pour qu'une charrette puisse se glisser sous la nacelle... Cette dernière était alors ouverte et son chargement se déversait dans la charrette. Plus bas, dans les rochers, le goémonier et sa famille chargeait la nacelle. Le goémon était ensuite étalé sur les dunes ...  

 

 

 

Mais dès le XVIIème siècle, on associe au goémon une production industrielle. La combustion des algues permet de produire de la soude pour la fabrication de verre et plus tard de l’iode. La production s’intensifie, et la main d’œuvre spécialisée dans le goémon s’accentue. La récolte devient une activité professionnelle à part entière. Les méthodes restent cependant assez archaïques jusque dans les années 1960. Dans les années 1970, le matériel et les techniques se modernisent, les bateaux sont désormais motorisés. Ils sont plus performants et offrent plus de rendement. Mais cela demande moins de main d’œuvre et le métier commence à décliner. Si en 1945, on comptait 3000 goémoniers, il n’en restait que 35 en 201. Une grosse partie de l’activité est concentrée à Lanildut (étape 33).

 

Le goémon humide est un pondéreux difficile à transporter, l’usage industriel conduira à faire des fours en proximité du rivage. 

Une fois séché, vers la mi juillet, le goémon était brûlé dans des fours à goémons. 

Le four nécessite une surface plane. C’est une tranchée de forme allongée rectangulaire dont le fond et les parois sont bordés de pierres taillées. Il est d’une longueur d’environ 10 mètres pour une section transversale de 50x50 centimètres. Les pierres sont isolées de la terre par une couche de galets qui laisse passer l'air. Le four breton est divisé en compartiments par des cloisons de pierre amovibles, afin de faciliter le démoulage des pains de soude  parallélépipédiques grisâtres  issus des cendres de goémon. Ces cloisons devaient être souvent changées car la chaleur les faisait éclater. Le four est généralement construit sur une butte exposée aux vents dominants.

Lors du brûlage, les cendres du four étaient brassées avec des « pifouns » (*). Le lendemain, ces cendres refroidies formaient ces  pains de soude qui étaient ensuite acheminés jusque l'usine de traitement.  

Il fallait environ une tonne de goémon vert pour obtenir un pain de soude jusqu’à 80 kilogrammes dont l'usine extrayait au mieux 1 kilogramme d'iode. La soude et les sels de potasse étaient également utilisés par l’industrie. 

Le premier usage des pains de soude est dès le XVIème siècle pour les manufactures du verre. Lors de la deuxième période industrielle de ces algues,  l’iode est utilisée dans l'industrie de la photographie (iodure d'argent) et le domaine médical sous forme de teinture d'iode comme désinfectant pour les blessures externes. Les fours à goémon se sont éteints dans les années 1950 lorsque les « pains de la mer » ont été détrônés par la soude chilienne et par la fabrication chimique d’une soude de bien meilleure qualité. 

 

Aujourd’hui, l’usage des algues se développe et est promis à un bel avenir, si la ressource est bien préservée.

L’usage agroalimentaire est l’utilisation la plus ancienne des algues. Les géomoniers récoltent les algues en mer depuis des centaines d’année. Ce qui a changé dans la pratique, c’est la compréhension de l’intérêt des algues pour le renforcement du microbiote. Elles sont désormais vendues comme complément alimentaire pour les hommes et les animaux.  Du côté des micro-algues, la spiruline et la chlorella remportent le marché de la nutrition-santé avec une croissance à deux chiffres depuis des années.  

C’est grâce aux cosmétiques que le traitement des algues s’est industrialisé. Les process se sont mis en place à la fin du XXème siècle. Pour les algues comme pour les micro-algues, la demande reste variable. Le secteur est tributaire des effets de mode. Environ 80 % de la production de micro-algues est destinée à la nutrition santé et 20 % pour les cosmétiques. Mais certaines années, c’est 50/50.

Comme n’importe quel végétal contenant des sucres, les algues peuvent servir à faire du plastique, à raison d’environ 7 kilogrammes d’algues pour 1 kilogramme de plastique. C’est par exemple ce que propose l’entreprise Algopack avec un plastique s’apparentant à de la bakélite 100 % biodégradable. Mais ce n’est pas tout, il est également possible d’utiliser les fibres des algues pour faire des plastiques PP, PE ou PLA contenant 10 à 40 % d’algues. En plus de l’intérêt écologique, ces plastiques gagnent en densité et se cassent plus difficilement.

Les usages moins connus sont la fabrication de peintures. L’aspect gélatineux de l’agar-agar est utilisé pour servir de liant. La matière sèche des algues brunes, résidu de l’industrie cosmétique, permet d’apporter une opacité et de remplacer une petite partie du dioxyde de titane des peintures. Mais aussi, sous forme de bitume. La première route en algue est prévue pour 2020. La valorisation des résidus de fabrication est envisagée. La masse de matière brune peut être pressurisée pour en faire un liant plastique à mélanger au gravier et au sable pour faire du bitume. 

 

 

(*) grandes spatules en fer

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire